
Libération March 5, 2004
«La circulation de l'information facilite l'arrestation»
Terrorisme. Patrick Garrett, de GlobalSecurity.org, critique la stratégie du silence de la police française :
Par Pascal Riche
Les Etats-Unis ont déjà fait face à des tentatives de chantage public. Les «snipers de Washington» réclamaient 10 millions de dollars et Unabomber menaçait de faire exploser des avions si le New York Times et le Washington Post ne publiaient pas un manifeste où il exprimait sa haine de la société technologique (lire ci-dessus). Selon Patrick Garrett, de GlobalSecurity.org, centre de recherches d'Alexandria (banlieue de Washington), l'usage intensif des médias est souvent le meilleur moyen de coincer ce type de terroristes.
Quelle est la politique aux Etat-Unis dans les affaires de chantage public ?
Elle varie selon les organisations auxquelles s'adresse la demande. Pour Unabomber, le Washington Post et le New York Times ont accepté de publier le manifeste. Mais les autorités, elles, ont décidé de ne pas négocier. Elles laissent espérer quelque chose aux terroristes, afin qu'ils continuent de parler, qu'ils restent en contact. Pendant ce temps, la police les traque. Le principe est de multiplier les manoeuvres dilatoires : on leur laisse le sentiment que les choses peuvent marcher, on explique qu'on ne peut réunir l'argent à temps à cause de problèmes procéduraux, etc. Ce gain de temps doit permettre de réunir des informations sur les maîtres chanteurs et de les capturer...
La presse, dans le cas d'Unabomber comme dans celui des snipers de Washington, a été abondamment utilisée...
Oui. Elle sert pour communiquer avec les criminels, qui ne peuvent évidemment pas laisser de carte de visite ou de numéro de téléphone. Dans l'affaire des snipers, ils laissaient des notes, et la police du Maryland répondait par des déclarations sibyllines, qu'elles demandaient aux médias de diffuser...
En France, la police a cherché à éviter une trop grande couverture médiatique de l'affaire AZF. Qu'en pensez-vous ?
C'est probablement une mauvaise approche. Je peux comprendre qu'ils n'aient pas envie de donner une trop grande publicité à l'événement, qu'ils craignent que cela pousse les terroristes à continuer leurs méfaits. Mais moins l'information circule, plus vous réduisez les chances d'identifier le groupe et de l'appréhender. L'affaire des snipers, il y a un an et demi, a déclenché une frénésie dans les médias, c'est vrai. Pourtant, du même coup, le public a acquis une connaissance très approfondie de ce qui se passait : les gens savaient ce qu'ils devaient faire, ne pas faire, et ce sur quoi ils devaient porter leur attention...
En flattant la vanité des maîtres chanteurs, les médias ne les poussent-ils pas à en faire trop, à fournir des indices ?
Lorsque ces criminels commencent à jouer un rôle dans les médias et cherchent à «faire la une», ils commettent des erreurs. Mais les médias servent aussi à disséminer des informations dans le public, jusqu'au moment où un quidam, informé de ce qui se passe, se souvient d'un détail suspect, le signale à la police et permet leur arrestation...
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