
Le Monde December 8, 2003
Les Americains perplexes face a la difficulte d'identifier leurs adversaires sur le terrain
Washington craint que l'opposition se mue en une structure politique
By Patrick Jarreau
Comment faut-il les appeler ? Guérilleros ? Insurgés ? Résistants ? Terroristes ? Les responsables et les médias américains sont également incertains des termes à employer pour désigner "les gens qui sont contre nous", selon la périphrase utilisée par l'administrateur Paul Bremer dans un entretien accordé, vendredi 5 décembre, à l'agence Associated Press.
Cette hésitation de vocabulaire traduit à la fois le manque d'informations sur l'identité des éléments qui attaquent les forces de la coalition en Irak et un trouble quant à la situation politique du pays. Est-ce un pays occupé, où une avant-garde résistante harcèle les troupes d'occupation ? Un pays libéré, où des partisans de l'ancien régime mènent un combat d'arrière-garde ? S'agit-il d'une guerre civile, opposant des groupes arabes sunnites aux Kurdes et aux chiites ?
M. Bremer adopte, bien sûr, la deuxième thèse, selon laquelle les opposants cherchent à restaurer l'ancien régime ou, du moins, à empêcher la mise en place d'un régime nouveau. Aussi prédit-il "une augmentation des attaques", dans les mois qui viennent, parce que ceux qui les mènent "comprennent qu'un mouvement puissant va dans le sens de la reconstruction économique et politique du pays" et veulent y faire obstacle. Selon lui, les combattants adverses sont à la fois d'anciens membres de la police politique de Saddam Hussein et "des terroristes professionnels" venus de l'extérieur.
Chercheur au Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS), Anthony Cordesman, qui a mené sa propre enquête en Irak, estime que l'opposition est composée "de vrais fidèles de l'ancien régime, de baasistes et d'autres opportunistes qui ne se voient pas d'autre avenir, de nationalistes arabes et irakiens, de délinquants, d'agents rémunérés, d'Irakiens hostiles aux Etats-Unis ou cherchant une revanche, de volontaires étrangers sans affiliation claire" et d'autres qui sont liés au groupe Ansar Al-Islam et au réseau Al-Qaida.
S'ajoutent à ces éléments des Arabes sunnites motivés par un sectarisme ethnique ou religieux et de jeunes chômeurs en quête d'activité et d'argent. Dans une analyse du "conflit asymétrique" dans lequel sont engagées les forces américaines, M. Cordesman écrit que "personne ne sait" quel est le nombre de ces opposants, ni comment ils se répartissent, mais qu'une chose est sûre : ces groupes hétérogènes vont "se muer en une nouvelle structure militaire et politique", capable de survivre à la capture ou à la mort de Saddam Hussein et de son second, Izzat Ibrahim Al-Douri.
La plupart des experts pensent que le chiffre de 5 000 combattants, avancé par le général John Abizaid, chef du commandement central, en novembre, est inférieur à la réalité. Lors d'un débat organisé récemment par la Brookings Institution, autre centre d'études politiques de Washington, Michael O'Hanlon, expert des questions de défense, a évalué le nombre des opposants armés à 10 000 ou 15 000.
Comme M. Cordesman, il estime que les informations manquent sur ce point. Il est beaucoup plus catégorique, en revanche, sur la composition de ces forces, qu'il estime formées avant tout d'anciens Fedayins de Saddam et d'anciens membres de la Garde républicaine spéciale. Selon M. O'Hanlon, la CIA (Agence centrale de renseignement) craint un "effet boule de neige", ce groupe de combattants pouvant être rejoint par des Irakiens mécontents de la présence américaine ou des contours du régime en gestation.
Le groupe globalsecurity.org, organisme indépendant qui rassemble et analyse les informations concernant le Pentagone, identifie une série de groupes islamistes engagés dans le combat contre les forces américaines. Des "Brigades Al-Farouk" aux "Fils de l'islam", une quinzaine de dénominations, sunnites ou chiites, affichent une inspiration religieuse, à côté de cinq sigles laïques et d'une demi-douzaine d'organisations se réclamant du parti Baas ou de Saddam Hussein.
Certains spécialistes, comme Kenneth Pollack, de la Brookings Institution, attribuent une partie des attentats à des délinquants ou criminels de droit commun, peut-être payés pour cela et cherchant, en tout cas, à entretenir un désordre dont ils tirent profit.
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