
Agence France Presse February 13, 2003
Du ruban contre une attaque chimique
Le gouvernement américain sonne l'alarme mais se contente de conseils limités, ce qui suscite l'ironie chez plusieurs observateurs
Washington - L'administration Bush a sonné l'alarme face à la menace terroriste d'al-Qaïda mais s'est contentée de recommander aux Américains de faire provision d'eau, de ruban adhésif et de piles. Cette dissonance entre le niveau d'alerte «très élevé», qui prévaut depuis près d'une semaine, et les conseils limités des autorités a fait hausser quelques sourcils, notamment dans les médias et chez certains experts.
Pourtant, les responsables américains paraissent plus inquiets qu'à aucun moment depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui avaient fait quelque 3000 morts à New York et Washington.
Les Américains, qui les entendent quotidiennement évoquer la menace posée par le réseau d'Oussama ben Laden, ont en plus entendu un message attribué à ce dernier, les menaçant mardi d'attaques suicide en cas d'intervention militaire des États-Unis contre l'Irak.
«C'est la menace la plus spécifique que nous ayons eue», a confié mardi devant le Congrès le chef de la CIA, la centrale américaine du renseignement, George Tenet, en référence à un attentat éventuel dans les prochains jours, durant la fête du Sacrifice (Aïd al-Adha) qui suit le pèlerinage (hadj) des musulmans à La Mecque.
«Kit de survie»
La population américaine a donc été conviée à confectionner un «kit de survie» comprenant téléphone portable, ruban adhésif, rouleaux plastifiés, radio, piles, lampes de poche, trousse et manuel de secourisme, quelques casques en plastique et des bandes fluorescentes pour délimiter une zone dangereuse.
Sans oublier quelques réserves de vivres, d'eau, de médicaments, de vêtements et de couvertures, précise un document d'une dizaine de pages diffusé par la FEMA, l'agence fédérale de gestion des urgences, à l'initiative du nouveau département de la Sécurité intérieure.
Le moment choisi pour dispenser ces recommandations est pour le moins «ironique», a ainsi estimé le New York Times dans un éditorial dont le titre, «Aux abris», évoque la guerre froide. «Washington appelle la population à se préparer à une attaque chimique en achetant du ruban adhésif mais est incapable de débloquer des fonds pour acheter des combinaisons protectrices et des détecteurs bioterroristes», a écrit le quotidien.
«Menez une vie normale»
La comparaison avec la guerre froide est tangible, estime Patrick Garrett, spécialiste de la lutte antiterroriste à GlobalSecurity.org. À l'époque, la menace d'une attaque nucléaire lancée par l'Union soviétique contre les États-Unis avait incité l'administration américaine à recommander à la population de se cacher sous une table et de se couvrir les yeux et la nuque... pour se protéger des effets d'une bombe atomique.
En réalité, ironise M. Garrett, «aujourd'hui, comme à l'époque, si une bombe tombe près de vous, vous avez toutes les chances d'être mort, surtout s'il s'agit d'une "bombe sale"», dont l'explosion disséminerait des poussières radioactives, chimiques ou biologiques.
«Il y a très peu de choses que l'on peut faire [pour se protéger], mais le plus important est que les autorités investissent suffisamment de ressources pour éradiquer ces menaces», poursuit ce spécialiste.
Les Américains, estime-t-il, sont d'autant plus sceptiques que l'attorney général, John Ashcroft, leur a demandé de mener une «vie normale».
La Maison-Blanche a réaffirmé hier que l'enregistrement attribué à Oussama ben Laden et diffusé mardi soir par la chaîne de télévision du Qatar al-Jazira confirme les liens entre le régime irakien et l'organisation terroriste al-Qaïda, les qualifiant «d'alliance avec le diable». Lors d'un point de presse, le porte-parole de la présidence américaine, Ari Fleischer, a précisé que l'analyse de l'enregistrement se poursuivait mais que Washington «partait du principe qu'il s'agit d'Oussama ben Laden».
La diffusion de cet enregistrement tombe à point nommé pour les États-Unis, qui veulent convaincre leurs partenaires que le dirigeant irakien Saddam Hussein est prêt à aider des organisations terroristes à obtenir des armes de destruction massive et qu'il doit en être empêché par tous les moyens.
Le porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Thomas Steg, a pour sa part estimé hier que la bande sonore «ne permettait pas de déduire l'existence de liens étroits entre l'Irak et al-Qaïda». Bagdad a de son côté affirmé que la diffusion de la cassette attribuée à Ben Laden était un prétexte américain pour frapper l'Irak.
L'enregistrement attribué à Oussama ben Laden «est clairement un effort» de son organisation al-Qaïda pour recruter et obtenir des soutiens, a estimé hier le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, devant la presse. Pour sa part, l'Agence centrale américaine de renseignement (CIA) analyse l'enregistrement pour déterminer s'il contient un signal d'attentat imminent, a indiqué hier son directeur, George Tenet. Les experts de la CIA «fouillent dans l'arabe» du message pour déterminer si c'est le cas, a souligné M. Tenet devant la commission des forces armées du Sénat.
Le visage de Ben Laden
Commentant le contenu de l'enregistrement, le directeur de la CIA a noté que Ben Laden y «exhorte nettement [ses adeptes] à faire plus». Il a rappelé qu'un message de Ben Laden avait également été diffusé juste avant les attentats du 11 septembre 2001.
Enfin, l'hebdomadaire saoudien al-Majallah écrit dans son édition à paraître demain que Ben Laden apparaîtra sur une bande vidéo après une éventuelle frappe américaine contre l'Irak. al-Majallah affirme avoir obtenu un message électronique en ce sens d'al-Qaïda.
Selon al-Majallah, al-Qaïda a tourné en dérision des informations de presse selon lesquelles «Ben Laden aurait subi en février 2002 au Pakistan une opération chirurgicale destinée à modifier ses traits pour échapper à la traque des services de renseignement américains».
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