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Le Monde March 16, 2002

Le Pentagone n'exclut pas de reprendre ses essais nucléaires

Jacques Isnard

Un abandon du moratoire permettrait aux Etats-Unis de concevoir de nouvelles armes, à faible puissance ou à énergie variable, brouillant la distinction entre armement classique et atomique LES ÉTATS-UNIS ne pourront pas maintenir "indéfiniment" la position qui consiste à "développer leur arsenal nucléaire sans nouvel essai". Cette assertion figure dans la "Nuclear Posture Review" (NPR) que le Pentagone a adressée fin décembre 2001 au Congrès, pour lui exposer ses réflexions en matière de nouvelle politique nationale de sécurité. Des extraits précédents, qui avaient trait aux pays détenteurs d'armes de destruction massive et susceptibles de devenir les cibles éventuelles de frappes américaines, avaient été publiés dans la presse. Ils avaient fait l'objet de remarques de Donald Rumsfeld, secrétaire à la défense, pour qui le président des Etats-Unis restait maître des décisions à prendre.

C'est le centre de recherche et d'analyse Global Security, basé à Washington, qui a mis jeudi sur son site les nouveaux extraits du document du Pentagone relatif aux conséquences de l'apparition d'armes nucléaires modernes, au sein de l'actuelle panoplie américaine, sur une éventuelle reprise de leurs essais, interrompus depuis 1992, par les Etats-Unis.

Telle qu'elle est exposée par les stratèges du Pentagone, la NPR se fixe de nouveaux objectifs en matière d'armement, qu'il s'agisse des moyens aériens et navals pour frapper les cibles choisies ou des charges, nucléaires ou non nucléaires, qui devraient armer de tels équipements.

Pour ce qui est des munitions nucléaires, le Pentagone fait état de ses nouveaux besoins. D'abord, selon le rapport, il a été décelé des difficultés techniques dans la panoplie en service, à savoir des défauts de vieillissement et d'usure. Ce qui oblige à prendre des précautions pour la conservation des matériels.

Ensuite, avec la fin de la guerre froide Est-Ouest, il est apparu que les armes actuelles, généralement de forte puissance et polluantes du fait de leurs dégâts "collatéraux", n'étaient plus adaptées aux nouvelles circonstances. Il convient donc d'imaginer des formules de charges nucléaires ajustées aux besoins.

C'est, en particulier, le cas pour la mise au point de bombes, autres que la B-61, qui puissent pénétrer en profondeur dans le sol, puisque le Pentagone suspecte qu'il existe, sur la planète, quelque 10 000 sites où sont clandestinement enterrées des armes de destruction massive. Mais c'est aussi le cas pour la conception de nouvelles charges nucléaires de faible puissance ou à énergie variable, qui, à l'horizon 2020, 2030 ou 2040 selon des prévisions de la NPR au coup par coup, auraient pour effet de brouiller la distinction entre les armes classiques et nucléaires en rendant l'emploi des secondes plus facile selon les zones de frappe.

Les auteurs du document constatent qu'il sera difficile de maintenir "un jugement objectif" sur les capacités nucléaires des Etats-Unis "dans un environnement où les essais ne peuvent avoir lieu". Ils ajoutent que le département de la défense et le département de l'énergie (responsable, aux Etats-Unis, de la mise au point des armes nucléaires) feront des recommandations en ce sens à la Maison Blanche, au motif que les puissances nucléaires ont pour mission d'"assurer la sûreté et la fiabilité" de leur propre arsenal nucléaire. Par là, les stratèges du Pentagone attendent de George W. Bush qu'il se décide à reprendre des essais que Washington avait unilatéralement interrompus, en 1992, sous la présidence de son père. En septembre 1996, ce moratoire a été confirmé par Bill Clinton, à une exception près : il pourrait être levé pour des tirs de faible puissance. Ce qui n'est jamais intervenu en six ans.

A partir d'un document remis au Congrès fin 2001, ces révélations ont lieu quasiment trois mois après, alors que Washington et Moscou ont entamé de délicates discussions sur une nouvelle réduction de leur armement nucléaire. En mai, Vladimir Poutine et M. Bush se rencontrent pour tenter de ramener, en 2012, leur panoplie à entre 1 700 et 2 200 têtes chacun.

Le rapport du Pentagone fait état de ces projets, mentionnant, entre autres prévisions, que, déjà, en 2007, l'arsenal nucléaire stratégique des Etats-Unis sera tombé à pas plus de 3 800 charges opérationnelles. Ce qui implique que les Américains n'ont pas choisi de faire l'impasse sur l'armement nucléaire, toujours considéré comme l'outil numéro un de leur sécurité aux côtés du programme de bouclier antimissile et d'une défense classique rénovée.

Dans la préface au document du Pentagone, M. Rumsfeld précise que la protection des Etats-Unis devra désormais passer par cette "triade", à laquelle il faut ajouter les premières leçons tirées de la guerre en Afghanistan, comme la possession de systèmes de commandement et de contrôle opérationnel performants et de moyens accrus en matière de renseignement. "C'est, écrit-il, la combinaison de ces capacités qui éliminera le risque, pour la nation, de réduire ses forces nucléaires."


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