
Le Monde February 26, 2002
Northrop Grumman lance une OPA sur TRW pour devenir un geant de l'armement americain
By Eric Leser
En langage militaire, cela s'appellerait une offensive eclair. Profitant de la demission inattendue, le 19 fevrier, de David Cote, le directeur general de TRW, Northrop Grumman, un des geants americains de la defense, a lance, vendredi 22 fevrier, une OPA surprise sur le groupe. Les dirigeants de TRW, entreprise specialisee dans l'armement de haute technologie et l'equipement automobile, n'ont pas apprecie la methode. Son president, Philip Odeen, l'a qualifiee de regrettable. Apres l'annonce du depart de M. Cote chez Honeywell International, le titre TRW avait perdu 14 % en deux jours. Le conseil de TRW a jusqu'au 27 fevrier pour donner une reponse. Wall Street, sevre depuis deux ans de bataille boursiere, attend un chevalier blanc .
Dictee depuis une decennie par les restrictions budgetaires, la concentration dans l'industrie de la defense americaine n'est pas terminee. Aujourd'hui, elle n'est plus inspiree par la penurie, mais par l'abondance. La guerre contre le terrorisme et le bouclier antimissile, cher au president George Bush, se traduiront l'an prochain par une augmentation de 15 % des depenses militaires.
Le budget du Pentagone devrait s'accroitre mecaniquement d'au moins 160 milliards de dollars (183 milliards d'euros) lors des dix prochaines annees.
Northrop compte en profiter et devenir le numero un de l'armement americain. Un rapprochement avec TRW lui permettrait de realiser en 2003 un chiffre d'affaires compris entre 26 et 27 milliards de dollars, un peu superieur a celui de Lockheed Martin (24 milliards).
Northrop Grumman n'est pas tres present dans le spatial, et TRW est le numero un dans ce domaine, explique John Pike, le directeur de GlobalSecurity.org, un organisme de recherche sur la defense. TRW participe depuis cinquante ans a la conception, la production et l'entretien des missiles balistiques nucleaires americains. Il est egalement bien place dans les technologies de l'information et fournit de nombreux logiciels pour systemes d'armes. Il a realise le programme de communication par satellite de l'armee americaine, capable de fournir des donnees en temps reel sur le champ de bataille. TRW est aussi un des acteurs majeurs de la guerre des etoiles, notamment dans le domaine des lasers a haute energie pour abattre en vol les missiles ennemis. TWR, c'est enfin et surtout des equipements pour l'automobile (airbags, ceintures de securite...). Ils representent plus de 10 milliards de dollars sur un chiffre d'affaires total de 16,4 milliards l'an dernier. Northrop a annonce son intention de s'en separer et aurait deja contacte plusieurs repreneurs potentiels.
Nous croyons que la combinaison de Northrop Grumman et TWR apportera une valeur considerable aux actionnaires des deux societes, a affirme Kent Kresa, le president de Northrop.
Nos activites electroniques et d'integration de systeme d'armement associees a l'expertise de TRW donneront a notre nation un acteur de premier plan dans la defense par missiles et satellites, a-t-il ajoute.
Northrop est connu notamment pour fabriquer le bombardier furtif B-2, l'avion de combat aeronaval F-14 Tomcat, les appareils radars embarques E-2C Hawkeye, les drones Global Hawk, celebres depuis la guerre en Afghanistan, mais aussi des porte-avions et des sous- marins, des composants de missiles, des vehicules de transport militaire, des radars, des sonars, des torpilles... Le groupe californien, associe a Lockheed Martin, vient de remporter le contrat du siecle, plus de 200 milliards de dollars, pour fabriquer l'avion de combat de la prochaine generation, Joint Strike Fighter. Northrop emploie 100 000 personnes, un peu plus que TRW (94 000 personnes).
Northrop a egalement l'atout de bien connaitre TRW. Ronald Sugar, bras droit et dauphin de Kent Kresa, est l'ancien numero deux de TRW. Le groupe est aussi passe maitre dans l'art de mener les rapprochements. Il s'est construit depuis huit ans par acquisitions successives: de Grumman et Vought Aircraft en 1994, Westinghouse Electronics Systems en 1996, Logicon en 1997, Alleghany Teledyne's Ryan Aeronautical en 1999, Litton industries en 2000 et Newport News Shipbuilding l'an dernier.
Mais il faudra convaincre Wall Street. La partie n'est pas gagnee. Les analystes reprochent aux dirigeants de Northrop de reussir les acquisitions, mais de ne pas savoir gerer ensuite et d'etre trop endette.
Ils ont prouve qu'ils etaient des acheteurs intelligents et agressifs, mais pas des industriels, estime Jon Kutler de la banque Quarterdeck Investment Partners.
Ce sentiment se reflete dans la baisse de plus de 9 % de l'action Northrop vendredi et la decision prise le meme jour par l'agence de notation financiere Moody's d'abaisser la note de la dette a long terme de Northrop.
Kent Kresa a propose, jeudi, l'equivalent de 47 dollars en actions Northrop par titre TRW, soit 5,9 milliards de dollars et s'engage a reprendre 5,5 milliards de dollars de dettes. La prime est de 18 % sur le cours de cloture de TRW ce jour-la. Mais, vendredi, l'action TRW a gagne 26,4 %, a 50,30 dollars. Les boursiers anticipent une surenchere. General Dynamics, Goodrich dans l'automobile, voire Lockheed Martin ou Boeing pourraient en faire une.
Cette industrie ne va pas rester passive tandis qu'un acteur majeur tente de mettre la main sur TRW, explique William Alderman of Alderman & Company, une banque d'investissement specialisee dans la defense. Il faudra aussi franchir l'obstacle des autorites de la concurrence.
Les organismes antitrust ne devraient pas faire de problemes a Northrop, mais pourraient rejeter d'eventuelles offres de Lockheed Martin et Boeing, indique la banque Merrill Lynch. Voila qui restreint le nombre d'adversaires potentiels de Northrop.
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